La vie invisible de Addie Larue de V. E. Schwab chez Lumen



Une vie dont personne ne se souviendra... Une histoire que vous ne pourrez plus jamais oublier... Une nuit de 1714, dans un moment de désespoir, une jeune femme avide de liberté scelle un pacte avec le diable. Mais si elle obtient le droit de vivre éternellement, en échange, personne ne pourra jamais plus se rappeler ni son nom ni son visage. La voilà condamnée à traverser les âges comme un fantôme, incapable de raconter son histoire, aussitôt effacée de la mémoire de tous ceux qui croisent sa route.

Ainsi commence une vie extraordinaire, faite de découvertes et d'aventures stupéfiantes, qui la mènent pendant plusieurs siècles de rencontres en rencontres, toujours éphémères, dans plusieurs pays d'Europe d'abord, puis dans le monde entier. Jusqu'au jour où elle pénètre dans une petite librairie à New York : et là, pour la première fois en trois cents ans, l'homme derrière le comptoir la reconnaît. Quelle peut donc bien être la raison de ce miracle ? Est-ce un piège ou un incroyable coup de chance ?  

Auteur: V. E. Schwab
Editeur: Lumen
Parution: 3 juin 2021

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Il va être difficile de parler de ce roman, car clairement, c'est un ovni! De part sa structure, son histoire, sa narration, ses personnages, sa poésie, ... Vous pourriez penser, après ces deux phrases, j'allais vous dire que le roman n'est pas particulièrement accessible, et bien détrompez vous! Soit il y a plusieurs niveaux de lecture, toutefois même les plus jeunes lecteurs y trouveront une histoire palpitante et intelligente. 

Addie est une jeune fille qui souhaite "plus". Elle ne se voit pas finir sa vie mariée à un homme qu'elle n'aime pas dans son village natal. Malheureusement pour elle, elle vit dans une époque où cela est la norme. Terrifiée à l'idée de vivre une vie sans goût, elle va passer un pacte. Avec le diable? le maître du temps? Jamais ce personnage ne sera vraiment défini par un nom, toutefois il sera l'incarnation du "mal" mais aussi de l'espoir... 

La narration est double, et ce de deux manière; si dans un premier temps on n'entend que la voix d'Addie, celle d'Henry vient donner un nouveau souffle au récit. La seconde double narration provient des allées et venues dans le temps. L'auteure s'amuse à nous faire passer du passé d'Addie à son présent. C'est dynamique, prenant, passionnant, addictif. 
J'ai adoré les chapitres qui couvrent la vie d'immortelle d'Addie. Petits cours d'histoire illustrés, ces chapitres donnent les grandes lignes d'évènements mondiaux très importants et nous proposent une immersion dans le passé. Et là où V. E. Schwab est  bluffante, c'est qu'elle nous rend aussi accro aux chapitres se déroulants dans le présent, et ce  grâce à la magie de New York. L'auteure nous dépeint une ville qui palpite, respire, danse, ouvre les yeux, ... La culture et la fraternité sont au cœur de tout. J'ai reconnu le New York que j'ai vu il y a maintenant trop d'année. Une ville qui me parle, me touche. 
V. E. Schwab est une magicienne des mots. Une créatrice de drogue littéraire. 

Addie est une jeune femme moderne dès le début et ce qu'importe le siècle où elle est née. Féministe à sa manière, déterminée et courageuse, elle est un bel exemple pour toutes les femmes. Pas de caprice. Son envie d'échapper à une vie terne n'en est pas un. C'est un choix de vie réfléchi. Elle traverse les époques et ne se résout pas, malgré les moments traumatiques, à abandonner la vie. Pourtant à plusieurs reprise la tentation est forte mais sa force de caractère et l'envie d'être la 1ère à contrer le "ténébreux" sont plus forts. Le Pacte ne se terminera pas si facilement.
 

"Le Ténébreux" ou Luc est un personnage passionnant. Clé de voute de l'histoire, il n'est pas que le "vilain". Luc, quelque soit son statut, est seul dans son immortalité. Seul a en être mal, son spleen transpire dès qu'il ouvre la bouche. Jouer avec les humains est un passe temps sympathique mais il ne l'occupe qu'un temps. Ce n'est pas pérenne. Les humains passent... Il veut Addie. Il veut qu'elle craque et que leur pacte se termine pour enfin ne plus être seul. Il joue avec la jeune femme mais elle est maligne et déjoue une partie de ses stratagèmes. Luc est un joueur d'échec professionnel. Il baladera Addie a de nombreuses reprises. Ayant toujours 10 coups d'avance. Pourtant, il n'avait pas prévu qu'un "obstacle" vienne perturber la partie. 
SURLIGNER POUR LIRE SPOILER - Le couple Addie / Luc est passionnant. Ce sont deux personnes clairement faites l'une pour l'autre, toutefois leur rencontre biaise les choses. Relation toxique par moment, il n'en reste pas moins que leurs sentiments dépassent un pacte. J'aime la fin ouverte que nous propose l'auteure. J'ai adoré les passages où l'on suit le couple. Il me semblait tellement une évidence. J'avais même été un peu déçue de la trop grande place que prenait Henry. Ce qui est beau dans ce couple c'est que seul Luc peut comprend entièrement Addie et seule Addie peut comprendre totalement Luc. 
 
 Au début de ma chronique je vous dis que ce roman est poétique. Je dirais même qu'il est philosophique. Il nous parle de "la trace / marque " que nous laissons sur Terre. L'héritage que l'on laisse. Est-il si important de laisser quelque chose ? Addie souffre de ne pas rester dans les esprits et pas seulement pour l'aspect matériel. Addie au fil du temps se rend compte qu'elle n'est personne. Qu'elle ne sera jamais personne car elle a été oubliée. Vous me direz c'est le sort de tout à chacun. Oui et non. Une personne qui a des enfants ne tombera pas aussi facilement dans l'oubli qu'une personne seule. De même un artiste sera dans les livres d'histoire des arts. Dans 100 ans, un jeune qui entend le nom de Mozart saura, normalement, que c'était un grand compositeur. Addie nous renvoie à notre propre peur de l'oubli. Que nous en ayons conscience ou pas avant de lire le roman. Elle nous renvoie à nos actes, ce qui nous défini.
D'ailleurs je trouve intéressant de noter que bien que tout le monde oublie Addie, ses actes font d'elle qui elle est. Ils la forgent. Elle n'oublie pas. Elle apprend. Se réinvente. 
 
L'autre réflexion philosophique principale du roman tourne autour de l'immortalité. Au premier abord cela est tentant. J'avoue que l'idée de vivre tout ces évènements historiques me mets des étoiles plein les yeux. Pourtant, l'immortalité ne me fait pas rêver... Depuis toujours d'ailleurs. Soit on voit des moments sublimes de l'histoire de l'humanité, mais aussi le pire qu'elle puisse faire. Et j'ai l'impression qu'elle est bien plus habile dans le pire que dans le meilleur... Vivre à tout jamais c'est aussi perdre les gens que l'on aime, encore et encore. C'est devoir s'accommoder des c*** au fil des siècles. Toutefois, malgré tout, une chose m'intrigue dans l'immortalité... S'ennuit-on à un moment? Devient-on blasé de tout? Si dans "Entretien avec un vampire" Anne Rice répond clairement que oui on s'ennuie, ici V. E. Schwab laisse le lecteur tirer ses propres conclusions de l'histoire d'Addie. 
 
Pour en finir avec la philosophie dans ce roman, j'aborderai en 2 lignes celle introduite par Henri. SPOILER SURLIGNER POUR LIRE - Henri a besoin d'être aimé, quitte à passer un pacte délirant avec le diable. Pacte où il est perdant à 100%. V. E. Schwab soulève la question du besoin d'intérêt, de "like" que nous avons tous plus ou moins. Je dirai plus au vue de la période actuelle ou le like est roi. Ne vivre qu'à travers l'approbation et la fascination de l'autre, est ce une finalité? Est ce le bonheur assuré?


Ce roman est une perle. Intelligent et fin, il nous questionne tout en nous faisant passer des moments magiques. La plume de V. E. Schwab y est pour beaucoup, elle nous transporte à travers le temps, les gens et les émotions. L'auteur n’amène pas de réponse précise, elle donne des pistes, nous laisse vagabonder dans notre propre réflexion. Je suis ressortie lessivée de cette lecture, mais tellement heureuse d'avoir vécu un tel moment. Si vous aussi, vous aimez vous retourner le cerveau à coups de questions existentielles et philosophiques, foncez. Si ce n'est pas le cas, foncez aussi car ce roman en vaut le détour.